Pour une virée à deux ~Bianca~

Le front qui repose sur le volant de sa Chevrolet corvette, Livia est le rare portrait d'un abattement profond. Mais comment est ce qu'elle se retrouve dans cette galère? Le soupire qui s'échappe de ses lèvres n'a rien de feint.  L'équipe de Sacramento lui a fait parvenir les informations d'un ancien cabaret en déchéance, qui, à  leur avis, pourrait servir de base pour un nouvel établissement de luxe/bordel.  Mais avant de s'avancer, ils ont besoin de l'avis de leur boss direct. Soit ce petit bout de femme italien qui pourrait leur coller une balle en pleine tronche pour le moindre déplaisir. Et vu les photos qu'ils ont envoyés au cours des derniers mois, les premiers contacts pris, le bâtiment, le lieu a du potentiel et pourrait être exactement ce dont Livia pourrait avoir besoin pour s'implanter plus durablement dans le Nord de la Californie, et pas simplement quelques putes de trottoirs. Sauf... SAUF qu'il y a un net besoin de débloquer des fonds pour le remettre en état. Pour le rendre digne de la clientèle de haut vol qu'ils souhaitent alpaguer. Et vider de tout fric. Paolo était intéressé par peut être faire tourner quelques tables en même temps que les filles. Ce qui aurait pour net avantage d'accroitre la protection de l'endroit.

Le HIC. Toujours lui. Qui est responsable des finances des Visconti? Qui tient les cordons de la bourse? Qui est la seule à avoir le mot de la fin dès lors que les projets sont d'une plus grande envergure? Yep. Madame Bianca Oscuro.  Il est totalement inutile de vouloir mettre quoique ce soit en chantier tant que la Sorella n'aura pas donné son feu vert. Et si les deux femmes ne s'entendent que moyennement personnellement, sur un plan professionnel, elles  se rejoignent parfaitement. Aucun détail n'est laissé de coté. Tout est scruté, tous les angles sont examinés. Les aspects du caractère de Livia qui peuvent agacer Fransceco trouvent un écho avec Bianca. Ce ne sera pas le premier projet qu'elles montent ensembles. Il y a eu certains qu'elles ont abandonnées parce que trop couteux et pas assez rentable à long terme. Cependant, ceux qui ont aboutis? Ils sont florissants. Les filles bossent bien, parce qu'elles sont bien encadrées, parce qu'elles ne sont pas en esclavages sexuels et gagnent un pourcentage sur leurs passes bien plus élevés que ce qui se pratique dans le domaine en général.  Attrait qui leur rameute des filles qui ont encore de la dignité et plus de sang dans les veines que de poudre, à l'inverse de certains Cartels. Cela coute plus cher au démarrage, oui. Mais dès que c'est mis en place? Bianca semble partager le même avis sur le management des catins à leurs soldes.

6h. 6h de route entre Los Angeles et Sacramento! 6h que les deux femmes vont passer seules dans la voiture de Livia. Là encore, il y a eu des négociations sévères avec Cesco. Le Padre n'était pas du tout satisfait à l'idée de ne pas envoyer toute une escouade pour protéger sa soeur dans son déplacement. Il a fallut que Livia lui répète un nombre considérable de fois que deux jeunes femmes en virée attirent bien moins l'attention sur elles que deux femmes entourées d'une douzaine de gonzes patibulaires. Lui rappeler le caractère ultra protecteur de sa lieutenant à l'égard de tous les membres de la Famille Visconti, Bianca compris. SI il est vrai que l'attitude de la Milanaise est particulièrement paranoïaque lorsque cela concerne la tête de la Mafia -Est ce qu'il pourrait cesser de se mettre aussi volontiers en danger, juste pour que ses nerfs tiennent le coup jusqu'à ses 40ans?- elle a étendu ses ailes gorgées de sang à ses frères et soeurs. Jamais elle ne laissera quoique ce soit arriver à Bianca. Si elles devaient être victimes d'un guet-apens, la tueuse plaint ceux qui en seraient les auteurs. Pas de fierté déplacée, elle a déjà éliminé suffisamment de menaces avérées ( ou non : aucune prise de risque sur ce point. Jamais) pour etayer ses prétentions. Dans tous les cas, elle aura le temps de joindre des renforts avant de mettre la Soeur à l'abri. Et Bianca est loin d'être une donzelle sans défense. Elle est tout aussi meurtrière que son ainé. Non.  Ce serait un suicide que de s'en prendre à ces deux femmes là.

Dix jours. Dix jours maximum. Moins si le projet ne parait pas viable à Bianca et Livia. Dix jours si il l'est, pour commencer à mettre en place les premiers travaux, installer les premières équipes et prospecter le vivier des filles de Sacramento et des environs. Ensuite, ce sera à la Lieutenant d'assurer le suivi et de rendre des comptes réguliers à la trésorières. Mais ce sera dans un second temps.  Dix jours à partager un même hotel. Par contre, il ne faut pas pousser. La Lame Italienne n'a pas l'intention de rester 24heure sur 24 avec  le Poison suave. Les heures de boulot, soit.  Mais il ne faut pas compter sur elle pour servir de guide ou fournir des divertissements.  Elle sort de la voiture après un léger coup d'oeil à sa montre. 10h. Ca devrait bien se passer. Elle a eu le temps de visiter son petit Fiocco di Neve. Sa puce dormait encore quand elle est monté la voir et Livia n'a pas eu le coeur la réveiller. Viola est en dehors de l'existence cramoisi de sa mère. Son secret le plus pur et le mieux gardé. Jamais elle n'autorisera à ce que sa gosse serve de monnaie d'échange contre elle. Ou de moyen de pression. Les torrents de violences et de meurtres qui en résulterait, nul n'y est vraiment pret. Elle a déposé sur sa table de nuit une petite clef usb que ses gardiens pourront lui lire en l'enclenchant dans leur tablette sécurisée.  Sa fille pourra découvrir une video de quelques minutes où sa mère lui raconte toutes les inepties que l'on peut dire à son enfant, ainsi qu'une prise où elle lui fait un câlin alors qu'elle était assoupie.

Parfaitement féline, parfaitement à l'aise dans son jean sombre, ses hautes bottes, à peine maquillée, Livia se tient devant la porte de la villa de Bianca. Elle ignore si Dante est présent ou si il est déjà une affaire ou une autre. Elle doit avouer qu'elle l'aime bien, celui là. Non seulement il est sacrement sexy à regarder mais il y a entre eux une étrange connivence. Quelque chose d'indicible, d'intangible, mais de bien présent. Ils ne s'adressent qu'à peine la parole, pourtant le courant passe entre eux. Ceci dit, il n'y a pas de jeux de charmes. Elle n'a aucune envie de le séduire ou de le mettre dans son lit. Il y a des folies pire que la mort et toucher au mari de Bianca serait ouvrir la porte à des supplices infinis. Non. Et cela lui couterait la confiance de Cesco. Hors de question. Elle a travaillé trop dur pour en arriver là où elle est, à ses cotés. Le mettre en déséquilibre pour une histoire de cul, jamais de la vie.  Une domestique lui ouvre la porte. L'informant que Madame n'allait pas tarder. Livia est pénible, à être d'une ponctualité extrême.

Elle hésitait encore, perdue dans cette immense salle de bain, surplombant les collines de Los Angeles. Il n’y avait point de rideau, rien qu’une baie vitrée et Bianca se trouvait à l’intérieur de cette pièce depuis une bonne heure. Elle avait pris une douche, s’était nettoyé les ongles, avait pris un bain, sans trop se décider à s’activer. Livia n’allait pas tarder, mais elle était encore empêtrée dans ses démons. Qu’allait-elle pouvoir faire ? Était-il encore temps pour annuler ? L’italienne hésitait. L’idée d’être si loin de chez elle, de sa famille, d’être avec Livia mais surtout le monde extérieur… Tout cela ne faisait que la perturber. Et quand elle eut pris sa troisième douche, elle décida enfin de s’activer un peu, s’habillant de façon élégante, attachant ses cheveux en un chignon serré, coiffure stricte qui lui donnait l’air d’une contrôleuse fiscale. Qu’importe, elle hésitait, et chaque angoisse qu’elle nourrissait, suffisait à enclencher ses manies. Alors qu’elle s’était lavée, on ne peut plus de fois que la moyenne, le besoin d’être propre se faisait ressentir. Et ça, elle le supportait mal, se trouvant à deux doigts de céder et d’enlever les sous-vêtements qu’elle avait enfilé, pour se glisser dans son lit et finir cette nuit qu’elle n’avait pu poursuivre tant elle avait longuement cogité. Dante était rentré tard, pour le travail ou pour une fille, Bianca n’en savait rien, ne lui en voulait même pas. Elle savait tous ses torts, le fait qu’elle lui refusait le contact physique dont tout couple avait besoin. Mais c’était plus fort qu’elle, dès lors qu’une main masculine se posait sur elle, Bianca se sentait défaillir, envahie de souvenirs terribles : elle ne pouvait pas.
- Madame ? murmura placidement une employée de maison. Bianca se tourna pour l’observer pendant qu’elle inclinait doucement la tête face à sa patronne. Votre valise est prête.
C’est aussi ce pourquoi elle était si réticente. Dix jours. Dix putain de jours, où il faudra rester avec Livia, l’une des sbires de Francesco, figure de féminité haut placée. Et Bianca ne l’aimait pas. De toute façon, elle n’aimait pas ce qui était du sexe opposé et gravitait autour de son frère. Combien d’amoureuses éperdues avaient fini au fond d’un trou, d’un canal ou laissées aux fourmis. Bianca voulait le meilleur pour son frère mais il n’existait pas. Livia était un peu l’exception (quelle chance !) parce qu’elle œuvrait pour le cartel et qu’elle s’en sortait bien. Et même si ça faisait profondément chier la brune, elle prenait sur elle.
Livia allait vivre et elles allaient passer quelques jours ensemble.

Bianca soupira, continuant de s’observer dans la glace. Son visage de poupée était toujours aussi arrondie comme si l’œuvre du temps n’avait aucun effet sur elle. D’ordinaire, une cascade de cheveux noirs entouraient son visage, mais cette fois-ci, une coiffure austère la rendait plus affirmée. C’est qu’à Sacramento, il allait y avoir de quoi faire. Elle n’avait pas peur cela dit, Livia était là. Elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir, et la voix de son domestique accueillir sa compagne de route qui était arrivée. Bianca était en retard, mais ça ne la perturbait pas pour autant. Elle enfila sa robe de marque, remontant les boutons jusqu’au col. Elle n’était pas du genre à exhiber sa féminité, au contraire, elle masquait le tout avec élégance afin de pas attiser le regard d’autrui, bien malgré elle. Ses formes la trahissaient toujours et elle se détestait tellement d’être ainsi. Si jolie, si regardable.
Ses mains se mirent à trembler à nouveau, et Bianca fit un effort terrible pour ne pas céder aux pulsions. Elle avait un travail à exécuter et elle le faisait pour Cesco. La seule pensée se rattachant à son frère la calma d’emblée. Francesco… Bien sur qu’elle faisait tout ça pour lui, après tout n’était-elle pas la reine d’un roi ?

La robe fut enfilée, accompagnée d’escarpins. Et elle sortit de la salle de bain, se rendant à la chambre où dormait encore son mari. Elle s’approcha dans la pénombre, essayant de faire le moins de bruit possible. Mais ce fut peine perdue, on approchait pas un ex-mercenaire silencieusement. « C’est l’heure ? » Dit-il simplement en se redressant, alors qu’elle approchait de lui, avec un sourire. Toute personne ordinaire aurait dû se pâmer de désir devant le torse nu et musclé de l’homme. Mais pour Bianca, il ne lui faisait rien, juste un sentiment de protection et de calme qu’elle abandonnait pendant dix jours. « Oui… » Murmura-t-elle, en venant vers cette main qu’il lui tendait. Néanmoins, elle ne la prit pas, préférant se rappelant l’enjeu de leur virée. « Il y a six heures de route… Si jamais ça ne va pas, tu viendras. » À nouveau, elle était cette gamine effrayée perdue dans ce couloir à Milan, bafouée et détruite. « Tout ira bien. » Ces trois mots lui semblèrent une claque, mais de celles qui faisaient du bien, remettant les idées en place. Elle sonda le regard acier de son mari, se convainquant qu’il avait totalement raison. Tout irait bien.
« Très bien, à dix jours alors. » Elle hocha la tête, guère rassurée cela dit. Ce n’était pas tant le danger qui l’inquiétait, mais plus elle-même. Elle avait un statut à assumer mais si loin de chez elle, Bianca perdait les pédales. Et d’ordinaire, Francesco était là, où Dante. Mais là… C’était l’inconnu. Elle se contenta de venir déposer un baiser chaste sur les lèvres de son époux, le quittant ainsi. Ils ne se verraient pas pendant dix jours, ne s’appelleraient qu’en cas de besoin. Ils fonctionnaient ainsi.

Ses escarpins claquèrent sur le marbre, et Bianca descendit au fez-de chaussée, apercevant sa partenaire pour les dix jours à venir. Si simplement vêtue à côté de Bianca qui puait la richesse a dix kilomètres. « Ciao Livia. » Dit-elle en venant à sa rencontre. Elle aurait pu lui proposer un café, de la nourriture mais non. « Nous devrions partir sans plus tarder. » Et ensemble, elles sortirent de l’immense villa hyper protégée. La démesure d’une femme qui perd la boule, le domestique plaça la valise de Bianca, poussant un peu celle de Livia, pour faire de la place. Et Bianca s’installa à l’avant de la Corvette. Y avait-elle fait le ménage ? Son œil maniaque décela tous les défauts et il lui fallut du sang froid pour ne pas céder à l’envie d’astiquer le tableau de bord. De toute façon, elle n’avait pas de lingettes. Aussi se contenta-t-elle de sortir de très longs gants noirs, qu’elle enfila. Au moins, elle n’était pas au contact avec des bactéries. « C’est parti pour dix jours. »  Déclara-t-elle sans enthousiasme. De toute façon, elle montrait une nature enjouée avec peu de personnes, Livia n’en faisait pas partie. Cette dernière démarra et quittèrent le havre de paix des Oscuro s’engageant vers le périphérique de Los Angeles qui les amènerait vers leur destination. Elle garda le silence, observant le paysage derrière ses immenses lunettes de soleil. Et elle ne savait pas quoi dire, ne cherchant pas la conversation. Elle pouvait tenir ainsi jusqu’à la destination finale. Mais non, il y avait des choses à voir. Aussi, elle prit un dossier dans son sac, l’ouvrant et regardant quelques pages. « Ça me semble vraiment bien ce cabaret. Gageons que la réalité soit vraie. Mais ça pourrait être un bon investissement. Un peu comme le Moulin Rouge que nous rénovons. » Livia avait l’œil pour trouver des merveilles pareilles, elle faisait marcher le commerce avec brio et les Visconti n’avaient pas à se plaindre. « J’espère que tout se passera bien. » Elle se tut, un instant, observant le paysage dehors. Et doucement elle murmura « C’est si différent de l’Italie. »

Elle attend, mais sans que cela ne devienne trop génant ou une volonté de la part de Bianca de lui signifier un statut inférieur au sien. Sans être une Visconti, la Lame a prouvé de trop nombreuses fois sa loyauté à la Famille. Avec Paolo, elle est sans aucun doute le lieutenant sur laquelle la fratrie peut se reposer. Jamais la jeune femme n'a montré signe de défaillances ou de doutes. Elle est là. Présence brune et silencieuse. Mortelle pour leur ennemis et sachant se montrer plus accessible avec les autres. Servant parfois de babysitter slash garde du corps aux jumeaux. Bianca finit par paraître. Impossible de ne pas remarquer sa beauté et son élégance qui dessine à merveille les courbes de son corps sans jamais se dévoiler. Une beauté qui s'affirme de plus en plus au cours des dernières années qui passent. Une salutation courte, mais après tout.... Il s'agit de Bianca.

Il faudra qu'elle aborde le sujet d'Ivy avec la jeune femme et elle s'en rejouit pas. Mais sans avoir besoin d'espionner la tresorière , les prostituées  parlent et cancannent. Livia écoute. Prête attention aux moindres détails de la vie de ses filles.  Et là, son comportement avec la call girl blonde ne lui convient pas. Elle est trop abrupte, son mépris est trop visible. Ho, elle sait très bien la raison sous jacente. Dès qu'une femme s'approche de Francesco, elle sort les griffes. Quand il s'agit d'une anonyme, jamais Livia ne s'en mèle, mais si cela interfère avec son domaine... Non qu'Ivy ne se soit jamais plainte. Et de ce qu'elle a pu constater sur certains enregistrement vidéo, la blonde se défend bien. N'empeche. Si elle ne permet pas aux clients d'humilier ses putes, pas avant qu'ils aient payés en tout cas, elle ne peut autoriser Bianca un tel manège. Hors de question que d'autres lieutenants lui emboitent le pas et que cela devienne la norme dans leur bordel principal. Un soupir. Ce n'est pas le moment. Pas avant sept heures du matin et pas avant au moins un ou plusieurs cafés.

-Pas de souci. Je n'ai pas de raison de m'attarder. -Pas de raison non plus de faire un long discours. Elle dévérouille le coffre, laissant la domestique s'occuper du bagage pendant que Bianca s'installe coté passager. Hors de question de laisser Mme Oscuro conduire. Non qu'elle craint sa manière de gérer le volant, mais la corvette... C'est son bijou. Si elle est le plus souvent à moto, pour ce genre de trajet, la sportive s'impose. Un regard  à la jeune femme qui enfile ses gants. Impossible de ne pas connaitre le dégoût profond des germes qui la tenaille, étrange affliction dans ce monde de sang et de poudre, elles se fréquentent depuis trop d'années. Silencieusement, elle appuie sur un bouton, permettant à la paroi de la boite à gant de coulisser. A l'intérieur, un gel hydroalcoolique anti-bactérien et un paquet de lingettes désinfectantes, les deux encore sous leur emballage d'origine. Il n'y aura aucune remarque orale. Pas d'avantage que Livia ne précisera qu'elle a laissé sa voiture pendant une après midi à une société spécialisée dans les nettoyage de fond, essayant de garantir un environnement le plus sain possible à sa coéquipière du moment. Bianca fera ce qu'elle voudra des deux, Livia ne s'attarde même pas sur un regard, préférant démarer, faire reculer le véhicule avant de l’insérer dans la circulation plutot tranquille de ce matin à Los Angeles. Dès qu'elle le peut, elle s'engage sur l'I405 north, préférant la voie de carpool, bien que le trafic ne le rende pas obligatoire.

Le silence s'installe. Pas vraiment pesant mais loin d'etre confortable. Affaires, affaires. Cela ne la dérange pas. -Oui, pour le moment ce que les hommes sur place décrivent a vraiment du potentiel. Je ne pense pas qu'ils prendraient le risque de nous faire perdre nos temps si ce n'était pas le cas. J'ai échangé avec Paolo à ce sujet il y a quelques semaines. Selon la disposition du bâtiment, il se réserverait bien une ou deux salles en sous-sols pour développer un cercle de jeu select, où seules les filles les plus cleans et les plus inaccessibles pourraient y entraîner leurs meilleurs clients. Avec un pourcentage à la clef sur ce que le joueur dépense chez nous. En plus de la passe bien sur. Il faut que j'en parle à ton frère, mais je pense qu'Ivy est prête pour avoir une petite équipe sous sa direction si ca l'interesse. Elle a un sens aigue des affaires.

C'est plutot une bonne manière d'amener la conversation sur la blonde aux jambes interminables. La Lame approfondira selon la réaction de Bianca. Pendant quelques minutes, elles abordent plusieurs points techniques avant que Livia n'ajoute :- Il est possible que je sois obligée d'y passer plusieurs semaines si le projet abouti, le temps de mettre en place et de m'assurer que tout va fonctionner comme il se doit. Les débuts sont toujours les plus délicats.

Elle a déjà fait cela pendant quelques mois à Albuquerque. Pour revenir avec sa Viola. Mais là, pas question que cela se reproduise. Juste les affaires. Et s'éloigner de Francesco dans la foulée. La Milanaise passe trop de temps avec lui. Il lui devient trop facile d'oublier les raisons réelles de sa présence au sein du réseau Visconti. Et l'ex junkie a trop investi, a trop manoeuvré pour se permettre d'accepter que le rôle qu'elle joue depuis si longtemps lui parait plus réel que son désir inassouvi de vengeance. Oui. Prendre un peu de distance face au centre névralgique du pouvoir Italien sera une bonne idée. Detestant la sensation que c'est une mauvaise idée, qu'elle doit au contraire rester à ses cotés ou juste derrière lui. Sa tueuse. Non. Six heures de route entre eux ne serait pas de trop! Elle finit un dépassement avant de se rabattre, laissant le moteur puissant s'emballer avant de revenir à la limitation de vitesse. Faticoso, mais indispensable pour éviter les nombreuses voitures de police qui sillonnent les autoroutes. Sa remarque la surprend. Un regard en coin à sa passagère.

-L'Italie te manque? -Une breve hésitation.  Elles n'ont jamais été proches. Se croisent depuis plus de dix ans. Mais amies? Non. Pas vraiment. Ce n'est dans le caractère ni de l'une ni de l'autre. Pourtant, un je ne sais quoi dans le timbre de la jeune femme.... Après un temps de silence -Tu parais... je ne sais pas... mieux, depuis qu'on a quitté Milan. -Depuis la sénilité apparente de l'ancien Padre et la décision du jeune Roi de graver son nom aux états-Unis. -Peut être... plus... -Ho Santa Madre di Dio. Elle ferait mieux de se taire. - C'est peut être juste une impression. -Plus calme. Plus posée. -Bientôt cinq ans. Et Livia n'est pas retournée sur la terre parentale de cette periode. Il n'y a pour elle que des cendres et de la souffrance à Milan. Les bébés de la famille. Ils n'avaient pas treize ans quand elle  les a croisé la première fois- Les jumeaux ont l'air de bien vivre le changement?

Son oeil acéré repéra d'emblée tout ce qui n'allait pas dans cette voiture. Certes, elle était propre, il s'y dégageait une odeur de désinfectant et de produit chimique, mais la maniaque qu'elle était, voyait la poussière entre les fentes des filtres à particule, celle qui était invisible malgré le soleil qui tapait sur le pare brise, l'infime miette qui se trouvait à côté de l'allume cigare.
Bianca voyait tout cela, victime de ses troubles obsessionnels. Pourtant, elle notait tous les efforts que Livia avait pu faire à son égard et elle s'en trouvait touchée. Néanmoins, elle garda le silence, préférant enfiler ses gants. Bianca était avare de compliments quand il s'agissait de quelqu'un autre que les membres de sa famille chérie.
Et le voyage démarra sans trop attendre. Dix jours, ça restait long et s'il était possible de gagner un peu de temps, l'italienne était preneuse. Elle se perdit dans la contemplation du paysage durant quelques instants avant d'engager la conversation sur le but de ce voyage. Ce cabaret racheté et qui était destinée à engraisser des comptes en banque gras à en plus pouvoir. Le profit, toujours, et Bianca y gagnait une étrange satisfaction à savoir sa famille dans la sécurité financière la plus totale. Elle se sentait protégée, forte et aimante.
Au moins, elle était sur la même longueur d'ondes que Livia sur les objectifs à avoir. Silencieuse mais attentive, elle écouta attentivement ce que sa comparse envisageait pour le local en devenir. Et c'était plus qu'enrichissant, formule gagnante destinée à tirer un maximum de profit. " ça devrait faire fureur. Nos maisons de passe ayant ce système fonctionnent très bien. Et j'ai vérifié les chiffres, ça en est vetigineux. " Souffla l'italienne avec un petit sourire. Les comptes du cartel n'avaient aucun secret pour elle. Elle vérifiait tout, jusqu'au moindre centime, destinée à ce que tout aille dans les comptes de chacun. Bien sûr, elle avait son armée de comptable et d'avocat véreux qui l'aidaient dans toutes ces manigances, ce blanchiment d'argent risqué mais tellement fluctuent.
Lorsque Livia évoqua Ivy, Bianca se raidit sur son assise se remémorant le souvenir de cette garce qui s'était jouée d'elle dans ce cabaret. Elle ne fit aucune commentaire, laissant Livia continuer à évoquer le lancement de ce cabaret à Sacramento. " Tu resteras le temps qu'il te faudra pour que tout soit bien mis en place. Nous te faisons confiance... " Lui dit-elle en évoquant tant elle-même que son frère. " En revanche... " Et sa voix laissait déjà transparaître l'intransigeance dont elle allait faire preuve. " Il est hors de question qu'Ivy soit affectée à un quelconque poste plus haut placé que celui qu'elle occupe déjà. Cette petite conne a visiblement des problèmes avec l'autorité. Elle se croit au dessus des règles établies, a fait preuve d'une insolence à mon égard. Cette puttana ne mérite rien de mieux que ce qu'elle possède déjà. "
Rien que de songer à cette impertinente, l'italienne sentait ses mains la démanger. C'était insupportable, elle n'avait pas aimé se trouver face à cette imbécile. Tout n'avait été que purement gratuit. Elle comptait bien lui mettre des bâtons dans les roues, à défaut de pouvoir déposer un contrat sur sa tête. Il était inutile de faire du bruit pour cette insignifiante.
Et puis, la conversation s'orienta vers l'Italie. Et la question lui fut posée. Est-ce que sa ville lui manquait ? Il est vrai qu'ici, tout était extrêmement différent, mais elle s'y plaisait. Et Livia lui fit part du changement qui s'était octrôyé en elle depuis qu'ils avaient élu domicile en Amérique. Plus posée, plus calme ? " Ah bon... " S'étonna-t-elle, laissant flotter sur ses lèvres un léger sourire. Elle-même ne se rendait pas compte de son comportement. Elle vivait avec le cartel ne se souciant guère de sa façon d'être. " C'est vrai que c'est différent par ici. L'Italie me manque, certes, mais pas au point de regretter notre arrivée ici. Au contraire, ce sont des images qui me manquent... Le bruit des oiseaux au Printemps, l'odeur sucrée de l'huile d'olive... L'accent chantant de notre langue... Mais pour le reste... " La maison familiale, les images du passé, le paternel ? Oh non. Elle ne regrettait rien de tout ça. " Ici, nous sommes bien plus libres. Et puis Cesco gagne en suprématie. C'est tout ce qui m'importe. "
C'était étrange qu'elles soient là, en train de se conter des fais établis afin de laisser fuir le temps. Livia la questionna concernant les jumeaux. Les bébés de Bianca. " Ils vont bien. Tu sais, à leur âge, l'Amérique, c'est le rêve absolu. Et puis, ils ont leur chez eux, nous ne sommes pas confinés dans cette bicoque familiale que nous avions à Milan. " Où elle avait été bafouée, là où elle était incapable d'y remettre les pieds. " Et toi, Livia ? L'Italie te manque ou la situation te convient ? Avais-tu de la famille la-bas? " Elle se tourna vers elle afin d'observer le visage de la brune, cette personne qu'elle connaissait depuis des années mais finalement, si peu. Elles étaient réservées toutes deux et forcément, n'étaient pas des adeptes des soirées confidences en pyjama. " Nous avons de la chance de t'avoir avec nous. Je ne suis pas du genre à complimenter, mais là, c'est sincère. Mon frère a énormément de respect pour toi. " C'est normal, après tout, son frère était si grand, si bon, si généreux. Elle l'aimait tant.
" J'espère que tu te vois toujours avec nous dans dix ans... " déclara-t-elle avec un sourire satisfait, laissant peu de place à une alternative possible pour Livia. Vu l'investissement qu'elle mettait dans cette oeuvre d'art, elle était là pour rester encore bien longtemps.